Je suis infirmière   implantée  et malentendante.

Tanya, sourde de naissance, est devenue infirmière par vocation, presque une idylle… Jusqu’à ce que le covid ne vienne mettre les masques sur les lèvres de tous les interlocuteurs

 

Petite  mes parents avaient remarqué que je ne réagissais pas aux bruits. J’avais alors environ 1 an. Ils m’ont emmenée chez le médecin  qui m’a fait un scanner cérébral. Je suis porteuse d’une maladie génétique rare le syndrome de Waardenburg. Je suis donc née sourde profonde bilatérale.

J’ai commencé a apprendre la langue des signes dans une école spécialisée, avant d’être implantée à l’âge de 3 ans et demi. J’allais trois fois par semaine chez une  logopédiste pour apprendre à parler. Durant l’enfance  j’ai vécu entre deux mondes, celui des entendants et celui des sourds.  J’ai été intégrée  dans une classe ordinaire, dans laquelle le professeur avait un micro, relié par un câble à mon implant pour amplifier les sons. En dehors de ces cours d’intégration, je fréquentais les élèves sourds.

Arrivée au cycle d’orientation, j’ai bénéficié pour la première fois de la présence d’un interprète en langue des signes à presque tous les cours. Durant le cycle, en pleine adolescence, je me sentais clairement plus à l’aise entourée de jeunes sourds, parce que la langue des signes est ma langue naturelle : je n’ai aucun effort pour la comprendre. Quand les jeunes entendants se regroupaient pour discuter je me sentais souvent exclue.

Mais voilà, à l’école  de culture générale, j’étais la seule sourde donc je n’avais pas trop le choix, je devais faire des efforts, participer, pour me faire des amis. C’était difficile parce que  je me sentais toujours différente et surtout qu’ils me voyaient comme différente.

Un petit mensonge par omission

Depuis toute petite je savais que je voulais être infirmière, c’était mon rêve ! J’ai toujours aimé prendre soin des autres. Mais voilà  de peur que ma candidature à la formation ne soit pas retenue à cause de me surdité, j’ai dû mentir lors de l’admission et j’ai dit que je n’avais pas besoin d’interprète  pour suivre les cours. J’avais peur qu’ils pensent que je  parlais   ou  n’entendais  pas bien.

Du coup la rentrée s’est un peu mal passée. Certains enseignants étaient surpris de la présence d’un interprète, mais je n’ai pas abandonné. Lorsque j’ai effectué mon tout premier stage en tant qu’étudiante, une infirmière qui m’encadrait m’a dit clairement qu’elle ne validerait pas mon stage parce que je n’étais pas autonome. Alors j’ai fait appel. L’école a organisé une réunion et rappelé la base : Il faut séparer le handicap et les compétences. On évalue les compétences comme pour tous les  autres étudiants, et pour le handicap, on s’adapte.

Une place de rêve

Après avoir décroché mon diplôme, j’ai eu très peur de ne pas trouver de travail, peur de subir du harcèlement, d’être discriminée…et le temps m’a donné tord !

J’ai été engagée dans un EMS à  Lancy (GE) 3 mois après et je suis tombée sur une équipe extraordinaire, une excellente cheffe, un excellent directeur. Quel soulagement !  Ils m’acceptent telle que je suis. Je m’adapte à eux bien sûr, mais ils s’adaptent aussi à moi.

Ça fait bientôt 6 ans que je travaille pour cet établissement

Pour que tout se passe bien, quand je ne comprenais pas je demandais de répéter, je reformulais les phrases pour être sûre d’avoir bien compris. Et mes collègues ont pris l’habitude  de parler chacun leur tour  lors de nos colloques

C’est vrai que la journée de travail me fatigue beaucoup, parce que je dois énormément me concentrer pour suivre les conversations le plus possible. J’entends les bruits de façon métallique, peu naturelle. Donc quand je sors du boulot j’éteins systématiquement mon implant pour retrouver ma bulle de silence. Etre dans le monde des entendants presque tous les jours c’est fatiguant. Ca me fait un bien fou de voir mes amis sourds, de signer avec eux. Je retrouve à ces moments là un vrai confort, une langue naturelle et sans effort, qui m’appartiens.

Aujourd’hui je suis mariée et maman d’une petite fille de 2 ans, entendante, mais bilingue français-langue des signes. Une  vraie fierté ! La voir signer avec ses petites mains  c’est tellement mignon !

Tout était donc pour le mieux dans le meilleur des monde, ou presque, jusqu’au jour où le covid  a décidé de nous frapper de plein fouet. Voilà que tout le monde porte un masque. Du coup c’est bien pire qu’avant et encore plus fatiguant. Je ne saisis rien, mais absolument rien, de ce que les gens disent à travers le masque. Pour comprendre j’ai besoin d’entendre la personne parler et de lire sur les lèvres en même temps. Pour moi les deux sont complémentaires, je ne peux pas entendre sans lire  les lèvres et j’ai de la peine à lire les lèvres sans entendre.  Je dois toujours demander à mes collègues et aux personnes que je rencontre de baisser le masque pour me parler,  tout en respectant la distance sociale bien-sûr. Je n’ai pas le choix. Il y a plein de personnes qui ont ce réflexe, d’autres pas. Ca fait partie de cette nouvelle réalité de tous les jours. D’ ailleurs comme je parle très bien les gens oublient parfois que je suis malentendante et oublient de faire l’effort de parler lentement, voire de répéter…

Parfois je craque, je dois bien l’avouer, mais je n’ai pas trop le choix, alors je tiens bon.

De manière générale, notre société a un peu tendance  à minimiser les difficultés  auxquelles font face les personnes malentendantes. Il suffit qu’une vendeuse baisse son masque  spontanément  pour me parler quand je lui dis que je suis sourde pour que je retrouve le sourire.

 

 

Texte : Julien Pidoux   Source : Témoignage rubrique Société de FEMINA.CH